Depuis plus de 10 ans, j’interviens en tant que coach et formatrice en entreprise pour accompagner individuels et équipes sur des problématiques diverses et variées. Et depuis plus de 10 ans je pratique le Travail de Byron Katie.

Quand Marie Schils m’a proposé d’écrire un article la dessus, j’ai eu un grand moment de solitude : je veux bien moi, mais que vous dire, que vous dire ? Qu’est ce qui pourrait vous intéresser sur ce sujet ? Est-ce le point de vue de l’utilisation du Travail quand on est coach en entreprise ou bien comment pratiquer le Travail sur des sujets de l’entreprise quand on y est au quotidien ? Parlons un peu des deux, vous ferez votre marché.

En tant que coach et formatrice, le travail me sert avant tout à m’auto-nettoyer les méninges et le cœur. Sinon croyez-moi, ces organes s’encrassent vite avec les croyances et jugements divers et variés qui fleurissent si vite en moi quand je retrouve ce monde paradoxal, excitant, étonnant, humain et inhumain à la fois qu’est l’entreprise. Ces pensées, si je n’y veille pas, m’empêchent de vraiment rencontrer l’autre et l’accompagner au mieux de mes capacités. Comment accompagner un Comité de Direction si je pense que ce sont des cyniques fermés à toute remise en question ? Comment aborder la formation à la gestion des conflits si je crois déjà moi-même que cette participante est agressive ? Comment écouter l’autre si je crois que je sais mieux que lui ?

Il y a quelques mois j’allais à reculons animer un stage sur la thématique du management pour un groupe qui m’avait bien malmenée lors du premier module… du moins, c’est ce que je croyais. Alors je me suis posée pour explorer ce que ces vilains managers m’avaient bien fait subir, pauvre de moi ! Au final bien sûr, je réalise que c’est moi qui m’était barricadée et qui était devenue fermée à leurs remarques, sur la défensive. C’est moi, qui les avais malmenés par mon manque de curiosité et d’ouverture et qui n’avais pas été disponible comme j’aurais aimé sous prétexte qu’ils ne communiquaient pas sous la forme que j’attendais. Au deuxième module j’ai rencontré un groupe que mes pensées ne m’avaient pas permis de rencontrer avant : franc, sans chichis, constructif, exigeant, plein d’humour. Nous nous sommes régalés!

Lorsqu’une entreprise sollicite un consultant, c’est rarement pour tel ou tel outil mais dans un but opérationnel précis. On ne me sollicite donc pas pour « coacher avec le Travail » ou « animer un atelier / une formation sur le Travail ». Souvent, le client vient avec un problème (« Cette équipe a du mal à s’adapter au nouveau positionnement commercial. Ce directeur en prise de poste peine à se faire entendre et à trouver sa place avec son équipe. Nos collaborateurs subissent des agressions verbales de la part des patients / clients et n’arrivent pas à prendre du recul à la fin de la journée.) ou bien ils ont un objectif opérationnel (« Nous voulons une approche de l’activité qui soit moins en silo, favoriser la collaboration entre les services. Nous souhaitons développer la confiance en eux de nos consultants juniors »…). Pour eux (et pour moi d’ailleurs) le Travail n’est pas une fin mais un moyen. Et c’est un des moyens que je leur propose.

Prenons l’exemple courant en entreprise de vouloir sortir des silos : chaque département est dans sa tour d’ivoire. Or, lorsque chacun est dans sa tour, nous ne connaissons de l’autre que ce que nous croyons de lui car nous ne sommes que rarement confronté à lui au quotidien. Par conséquent nous allons généraliser à partir d’une expérience unique (parfois même d’une réputation colportée par d’autres).

Le travail d’accompagnement pourra donc par exemple proposer de recenser toutes les croyances que nous avons les uns sur les autres : « le Marketing ne comprend rien au terrain, les Ventes se plaignent tout le temps, la Qualité pinaille sans cesse pour rien, la Finance ne pense qu’aux chiffres, La Logistique n’est pas assez réactive etc… ». Le travail est un outil formidable pour cela parce que radicalement lucide mais aussi responsabilisant et constructif. Combiné ensuite avec des observations de terrain, les regards changent, et, partant, les attitudes de collaboration évoluent.

Le début d’année est l’occasion pour beaucoup d’entreprises de ces fameux « entretiens annuels » que certains aiment, que d’autres abhorrent. Mathilde, que j’accompagne en coaching depuis 6 mois redoute de devoir faire l’entretien de son collaborateur Gérard. L’an dernier a été difficile et elle y va à reculons.

Nous listons les 5 pires choses qui puissent se passer durant l’entretien:

 » Il m’attaque et pinaille sur ca et ça, il est de mauvaise foi, il hausse le ton, il se plaint de moi à mon N+1, il claque la porte ». Nous voici donc avec une matière première en or dans les mains et plein de choses à faire avec cela. Par exemple, pour chaque pensée identifier une situation où elle a déjà pensé cela et faire le Travail (si je le projette dans le futur, c’est que je l’ai vécu probablement dans le passé).

Nous pouvons aller explorer le pole opposé : les 5 plus FORMIDABLES choses qui puissent arriver lors de cet entretien c’est  que :  » il m’attaque et pinaille sur ça et ça, il est de mauvaise foi, il hausse le ton, il se plaint de moi à mon N+1, il claque la porte ». Et avec humour, sincérité, tendresse et réalisme, nous explorons pourquoi si cela arrive, cela pourrait être un vrai cadeau pour elle.

Pour « il hausse le ton » par exemple, Mathilde me dit combien elle a besoin de travailler sa capacité à réagir calmement dans les conflits et réalise que le seul moyen d’apprendre est d’être confronté à un collaborateur qui hausse le ton, pour voir ou elle en est…

– Et s’il se plaint de vous à votre N+1 ?

– euh… ça c’est plus embêtant parce que c’est ma réputation… (elle cherche) et en même temps je crois que c’est l’occasion de montrer à mon N+1 que je sais prendre un feedback mais que je sais aussi recadrer clairement le périmètre de ce feedback plutôt que de me défendre et être de mauvaise foi. Ça lui montrera que je sais être factuelle et c’est un atout »

Quant à la porte claquée, finit-elle avec humour : il fait chaud, ça fera de la ventilation !

Tandis que j’écris le draft de cet article je viens de recevoir un mail de Mathilde qui me rend compte de l’entretien qu’elle a finalement eu la semaine dernière : « Donc… il arrive dans le bureau et à peine arrivé il me dit que cet entretien n’est pas utile car il veut une mobilité en interne. Il a du mal à travailler avec moi et mon management ne lui va pas. RESPIRATION ! Et puis j’ai tout de suite vu que j’étais d’accord avec lui, qu’à moi non plus cela ne convenait pas et je me suis détendue. L’entretien a été constructif et il est ressorti avec un grand sourire et moi aussi. Je suis sidérée! « .

Byron Katie répondrait à Mathilde : « la réalité est toujours plus bienveillante que l’histoire qu’on se raconte à son sujet »

Récemment, on m’a demandé d’aller animer un atelier de co- développement pour un groupe d’ingénieurs « difficiles » (SIC!). J’ai senti un brin de tension dans mon estomac. Fichtre ! Double peine: ingénieur ET difficile ?! Mais au fait des ingénieurs difficiles ça ressemble à quoi ? Mon interlocutrice en me briefant sur le groupe à accompagner croyait bien faire, mais je ne suis pas obligée de prendre le cadeau qui m’est proposé ici d’hériter de croyances « prêtes à l’emploi » ….

Il y a un phénomène que les psychologues appellent « l’effet pygmalion ». C’est un concept magnifique qui explique le cycle dans lequel nos croyances nous lancent à vive allure : ce que je crois agit sur ma perception qui agit sur mon comportement qui agit sur la perception de l’autre qui agit sur son comportement. Ainsi nous lançons des cercles soit vicieux, soit vertueux, tout dépend…

Nous sommes tous « l’ingénieur difficile » de quelqu’un d’autre tant que nos croyances nous empêchent de nous rencontrer vraiment…

Il m’est alors revenu une anecdote que j’adore.

Monsieur Dupont subit une crevaison de son pneu avant gauche sur le bord de la route à 5 km du village le plus proche. « Oh la barbe ! je suis loin de tout en plus et personne ne passe sur la route ». Apercevant le panneau indiquant le village proche, il commence à marcher en grommelant « de toutes façons il n’y aura pas de garagiste… et puis tu parles, quand bien même il y aurait un garagiste… va savoir si il sera ouvert le weekend end !!! ». Il fait chaud mais il continue, bientôt il aperçoit le village au loin et  à l’entrée du village un panneau « THOMAS GARAGISTE, ouvert 7j/7j ». « Ouvert, ouvert, peut-être, mais radins comme ils sont ici, ils ne voudront pas me prêter de cric on n’accueille pas les étrangers au village. En plus en voyant que je suis de la ville ils vous savoir que je ne m’y connais pas tant que ça, ils vont m’arnaquer et se moquer de moi ». Il s’approche du garage, le garagiste est là, sur le pas de la porte, un cric à la main, souriant, et demande à monsieur Dupont « que pouvons-nous faire pour vous cher monsieur, puis-je vous… ». Monsieur Dupont l’interrompt et lui lance « oh ça va, hein, toi et ton cric fichez moi la paix »…

Danaé Mâche

Facilitatrice Certifiée